Ce moment dans la nuit hivernale, entre 1h30 et 2h00 du mat, au lit, entre 2 pages d’un roman de Hanif Kureishi. Quelque chose à te dire. Moment suspendu où l’on s’arrête quelques secondes le regard perdu bien au-delà des murs blancs, moment suspendu entre 3 et 4 secondes max où surgit brutalement dans la chambre un flot d’images sonores. Surfer Rosa, en toile de fond subliminale.
(Ici, il paraît opportun que la voix off se fasse entendre. Bien entendu, on est encore capable de contextualiser Surfer Rosa. Caroline music, 4 AD, le label branché des eigthies, la couv noir & blanc voire sépia, les seins dénudés de la belle tzigane et le crucifix dans l’arrière-plan, la Peugeot 405 break grise, les deux petits mecs sanglés sur la banquette arrière, Where is my mind ? en replay-replay-replay. Ça, ça n’a rien à voir avec de la nostalgie, rien à voir avec des trucs comme le paradis perdu, la famille heureuse et tout ça. Des faits. Rien que des faits. Fin de la voix off)
Pendant 3 ou 4 secondes, on se projette le lendemain matin au saut du lit. On se promet les 2 faces du lp des Pixies. Alors, on anticipe, on fantasme l’orgasme du lendemain. On se fait la totale Surfer Rosa, face A et face B, morceau après morceau, en accéléré, en 3 ou 4 secondes. Après, on revient aux mots de Kureishi et l’on retourne aussitôt à Londres dans les pages de Quelque chose à te dire.
Lui, il sait déjà que, demain matin, Surfer Rosa ne sera pas nécessaire à sa survie quotidienne, qu’il est parvenu à se faire les face A et face B en quelques secondes, que ce lp fait partie de son code génétique, de son patrimoine universel. Pendant ces 3 ou 4 secondes, il a même eu l’occasion de se dire que, fondamentalement, il n’avait plus besoin du vinyle avec la belle gitane sépia, qu’il pourrait le revendre comme occaz puisque Surfer rosa avait quitté le monde de la matière.
Il y a 2 ans, il a décidé qu’il ne s’encombrerait plus de Tout, qu’il était hors de question de racheter des étagères Billy pour ranger de nouveaux bouquins. Même les livres d’avant la décision lui posaient un problème ! Il fit le tri. Il ne les relirait jamais. Il devait en terminer avec ce deuil des bouquins qu’on ne relira jamais. Il s’offrit le luxe de garder les Jim Harrison et les Hanif Kureishi. Alors il vida les Billy. A propos des bouquins, il prit une seconde décision. Il continuerait à en acheter mais il ne les garderait pas. Une fois lus, il les abandonnerait sur les tables des bistrots.
Avant de s’endormir, quand il eut déposé le roman de Kureishi sur le plancher, tout contre le matelas, il repensa furtivement à Where is my mind Pas question de revendre ses Pixies ! On ne se défait pas impunément d’une chanson ! Demain matin, il y aurait The sea and the cake ou Madlib ou Caretaker ou Spectrum ou Terry Riley.
