Devant, au-dessus de l’écran du PC, il y a de longs bandeaux verticaux de minis photos argentiques punaisés qui pendouillent le long du mur blanc. Des photos de la vie d’Avant avec les deux petits mecs et des amis d’Avant. Des photos de la fois où il se retrouve au volant d’un semi-remorque de 17 mètres de long à une centaine de kilomètres de Modena. Lui, cette fois-là, il aurait mieux fait de la fermer, de ne pas se vanter auprès du chauffeur de ses permis C et D. Il n’y a pas de nostalgie dans ses yeux. Juste des yeux qui se marrent. Il y a ce portrait de lui au crayon. L’œuvre de Nourson. En dessous, un A4, avec une date floue, jeudi 26, une écriture d’enfant au marqueur noir. Un mot qui commence par « SALUT mon papa » et qui se termine par « Ton nourson préféré qui t’aime ». Plexus solaire qui pogote. (en bas des escaliers, il y a un autre A4 avec l’écriture de Nourson :
– Papa, tu me manques déjà.
Au pied de l’écran, un morceau de roche rouge arraché à la falaise de Bandiagara. Il a toujours été obsédé par la terre rouge africaine. C’était en 2010, avec l’ami d’Ici et là-bas. Liège-Bamako en voiture.
A gauche du bureau, en dessous de l’interrupteur, un chapeau de berger peul. C’était au pied de la falaise de Bandiagara, en 2015. Ils attendaient le départ du car pour Bamako. Le car est parti avec près de 6 heures de retard. Il se souvient des soutes gonflées de sacs de riz, de sacs de tissu, de 3 moutons. Bêlements discrets, sourds Trois moutons vivants qui attendraient Bamako plus d’une dizaine d’heures dans l’obscurité surchauffée. Lui, tout en dedans, il sourit imaginant la tête de ses potes Vegan, là-bas, au pays des visages pâles. C’est ce jour-là, au pied de la falaise qu’il acheta le chapeau de berger peul. Toujours à gauche du bureau, la porte qui mène à sa chambre. Puis deux étagères en métal de 6 tiroirs chacune. Sur les deux étagères IKEA, 5 piles de livres aussi hautes que les petites tours de métal. Il ne les a pas lus. Aucun. C’est sa réserve personnelle,c’est le syndrome de l’ex libraire. Il ne supporte pas ne pas avoir le choix. Quand il termine un bouquin, il se dirige vers les 5 piles. Ses doigts entament alors un balai précautionneux, presque élégant. Caressent les piles de papier, ouvrent les livres, les déposent, les reprennent, les reposent. Romans, BD, essais, bios, autobios ? Il tente un choix, l’ouvre. Il est fort probable qu’il l’abandonne ce soir au pied du lit après une dizaine de pages. Le lendemain, ses doigts recommenceront leur balai sensuel. Depuis peu, quand il termine un bouquin, il le donne. Il y en a plusieurs, au pied des escaliers qui attendent la fin du Confinement Universel. Les BD, les essais, les livres qui racontent la musique, il les garde. Ceux-là, une fois lus, ils grimpent quelques escaliers et gagnent les Expedit blanches.
Sur la droite du bureau, un portfolio d’Ever Meulen, une petite gouache de Thierry Grootaers, un petit bouquin rock’n roll de Jean-Christophe Menu. Et puis une autre étagère iKEA, blanche, comme les Expedit, avec plein de bouquins consacrés à l’écriture, aux ateliers d’écriture. La vie, mode d’emploi de Georges Pérec qu’il n’a jamais terminé. Il avait déjà lu Je me souviens, La disparition. Il avait adoré Espèce d’espaces. Il y a aussi des bouquins de Bukowski, de Selby, de Jonathan Safran Foer, de Jim Harrison (L’été où il faillit mourir.) L’autobiographie des objets (François Bon). Une quinzaine de cahiers japonais avec plein de notes concernant les ateliers d’écriture qu’il donne depuis une quinzaine d’années. Une carte de Milan. La fois où il rendit visite à José Munoz dans les années ’90. C’était en vue d’une expo à Liège. Munoz et Charyn. Ils sortaient une adaptation BD de Panna Maria. C’était l’un de ses « vrais » livres Culte. La belle ténébreuse de Biélorussie, aussi. Il adorait Munoz et Charyn. Une vraie groupie. Il se souvient de Charyn terrorisé, paniqué dans les rues de Liège quelques mois plus tard lors de la séance de dédicaces. Jerome Charyn lui expliqua qu’il se sentait plus en sécurité à Brooklyn que rue Souverain-Pont. Au dessus de l’étagère blanche, deux bananiers.
Là, maintenant, il quitte le bureau, grimpe les quelques escaliers, passe devant les Expedit, saisit un vinyle qu’il avait repéré ce matin. Depeche Mod. Pas par nostalgie, L’envie d’écouter Personal jesus. A fond. D’habitude, il écoute la cover de Johnny Cash.
