(Virginie Despentes et moi)

Il y eut Baise-moi, Apocalypse bébé (la pièce de théâtre), King Kong théorie en re-re-lecture (essai féministe, post-féministe, militant, punk, etc), Cher connard (et la possibilité d’un grand pardon). Il y a ses lectures, podcasts, etc. Il y a, là, au pied du lit, côté Amoureuse, la trilogie de Vernon Subutex qui attend une lecture bis. Virginie Despentes est une vieille punkette (passé 50 ans, on est un vieux punk ou une vieille punkette) qui raconte aussi mon histoire dans tous ses méandres.

Les mots de Virginie Despentes se nourrissent de l’oralité punk-funk-skunk. Sa langue danse, pogote, ondoie, grince. Elle n’évite pas les aspérités, les aphtes. Les cloques, les verrues. Les saignements intempestifs, les diarrhées fracassantes. Quand il faut, il faut ! Ce n’est pas de la langue de pute ! Elle régurgite parce que, si on regarde dehors, y a de quoi régurgiter à fond. Elle ne se regarde pas régurgiter, elle écrit avec le brûlant coincé au fond de ma gorge. En trois lignes, elle structure ce qu’elle a sur l’estomac quand elle pose son regard sur la vie dehors. Allers et retours entre elle et les autres, entre les autres et moi, entre moi et elle. C’est une langue dure et tendre qui n’oublie pas la lutte des classes et qui a choisi son camp, celui des déboussolés, des déclassés, des déracinés. Despentes ne regarde pas le monde d’en haut, elle cultive la marge non pas par voyeurisme mais parce que c’est comme ça. Point !Dans « L’ère des créateurs », Vaneigem :
– Les artistes se doivent d’être des révolutionnaires, dans la marge.

La langue de Despentes est jouissive. Elle joue avec l’oralité. C’est si compliqué d’introduire l’oralité dans du narratif ! Ça demande un boulot considérable de rendre une langue vivante. Ça demande une volée d’allers et retours entre Dehors et Dedans. Ça demande des efforts d’écoute et d’introspection considérables de rendre une langue appétissante, bandante. C’est pas donné à tout le monde quand t’es la descendante d’une culture qui a placé le cartésianisme et le rationalisme tout en haut de la montagne aux mots.

Il y a aussi la culture revendiquée par Despentes. Le son, la musique. Pas étonnant que sa langue soit si sonore ! Dans ses phrases, elle ne revendique pas de lien de parenté avec de quelconques écrivains français ou de quelconques philosophes et autres intellectuels français. C’est sans doute une des raisons pour laquelle son écriture est si vivante, si peu linéaire. Elle écrit comme une cartomancienne tire les cartes, on y croit, on n’y croit pas. Peu lui importe. L’écriture de Virginie Despentes n’est pas là pour enfoncer des portes ouvertes, se glisser dans l’entre-soi des artistocrates, s’allier aux certitudes molles des bobos pur sucre, convaincre les adeptes de l’entre deux eaux, regagner le labyrinthe des gens heureux.

Virginie Despentes est l’un.e des rares qui me raconte le monde cabossé d’aujourd’hui tout en entrouvrant la porte sur d’autres ailleurs, sans se réfugier derrière une posture cynique. Je n’attends pas que sa prose adopte une démarche « journalistique », qu’elle se déguise en envoyée spéciale. Je détesterais ça !

(sacd 2024)

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