Dimanche 24 novembre, en bas de chez moi

Il y a ce monsieur âgé qui a traversé le boulevard, rentre dans le bistrot, se justifie auprès du serveur :
– C’est fermé en face !
Il s’installe au pied de la cage d’escaliers, à droite. Demande au serveur si la 33 est toujours à 3, 20 euros. Oui, il répond.
– Tu as toujours l’appareil pour payer ?
Steve le rassure :
– Ne te tracasse pas Joseph, rien n’a changé !

Joseph croise les bras sur sa parka. Joseph a une barbe grise soignée, une barbe de vieux hipster. Le regard de Joseph se perd au-delà du bar, de la vitre, de la terrasse, au-delà du boulevard, au-delà du bistrot en face, au-delà du fleuve. Ses yeux ont abandonné définitivement l’espoir d’une ligne d’horizon.
Il demande à Steve, de l’autre côté du bar :
– Et le 25 décembre, vous êtes ouverts ?
– Oui.
– Et le 24 décembre aussi ?
– Aussi.
– Ah, c’est bien. Vous pensez aux clients.
Le torse de Joseph semble vissé à la banquette. Son regard revient ici, ses yeux balaient l’espace tout proche, comme des essuie-glaces par forte pluie, ses yeux clignent irrégulièrement comme s’ils cherchaient à s’échapper de son crâne, comme s’ils tentaient de délivrer un message aux clients qui escaladent la volée d’escaliers abrupte menant aux toilettes.
Il y a un autre monsieur âgé qui descend prudemment les escaliers, le pied droit attendant patiemment que le pied gauche le rejoigne, marche après marche. Il agrippe fermement la rampe des deux mains. Le buste de Joseph se déhanche prudemment vers la gauche, vers la rampe. Il lève la tête :
– Ils sont dangereux, hein !
– Oui, c’est vrai.
– C’est pour ça que je vais en face. C’est fermé aujourd’hui.
– Moi, ici, j’aime la terrasse.

Il y a d’autres clients qui rentrent dans son champ de vision. Il les salue mécaniquement d’une voix forte, monocorde, sans intonation. Aujourd’hui, c’est dimanche, fin de matinée, l’heure de la solitude. Soudain le bassin, le buste, le cou, le crâne, le regard de Joseph tressaillent dans un même axe, vers le bar :
– Steve, une 33 petit col. S’il vous plaît.

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