à coups d’oranges ou de mandarines (songs part 7)

On savait qu’il n’y aurait pas d’avions passé minuit, que les premiers charters ne décolleraient pas avant 5 heures du mat. Alors, on retirait nos salopettes grises, on prenait nos voitures et on sortait à Bruxelles. Je ne me souviens plus vraiment où. Quand on revenait peu avant 5 heures du mat à Zaventem, on se faisait engueuler par le chef d’équipe. Un avion non prévu avait atterri au milieu de la nuit et le mec nous avait cherché partout. Alors, on se prenait un savon + une gueule de bois. Il y avait un autre Michel qui était continuellement jeté. Premier contact avec un vrai camé, le regard plongé là-haut dans la stratosphère. On s’aimait bien, lui et moi, même si on ne se parlait pas vraiment. Physiquement, esthétiquement, organiquement, j’aurais voulu être lui. Lui, il avait passé toute une nuit avec le Velvet Underground lors de leur passage au théâtre 140. Respect. Moi, ça m’aurait plu d’avoir son visage doux et ses cheveux blonds bouclés.
Il y avait Pierre, le baba cool avec une tignasse à la Michael Jackson période Jackson five. Il venait de Dinant, il habitait Leuven.
Il y avait le flamand d’extrême gauche, un mec d’Anvers, qui nous montrait comment fabriquer une catapulte qui propulsait des boulons de 12 et qui, disait-il, traversaient les casques des flics. Il faisait aussi dans les armes. Les vraies. Une grenade pour 20 euros, un bazooka pour 150. Il roulait dans une vieille Porsche 911. Verte, je crois. Pierre-le-baba cool était obsédé par le Québec. Il y allait 2 ou 3 fois par an. On avait droit à un voyage gratuit tous les trente jours de boulot. Il était aussi obsédé par le trafic de traveller’s chèques. Il nous expliquait qu’il y avait un coup à faire avec les traveller’s chèques. Que c’était fastoche, qu’il ne comprenait pas comment personne n’y avait pensé. Il déboulera une dizaine d’années plus tard à Liège. Il venait de faire un an de taule pour trafic de traveller’s chèque. Il avait gardé son grand sourire de baba cool.
Il y avait Bernard, le faux hippie avec des cheveux qui glissaient plus bas que ses omoplates. Le fan de musique planante et psyché. De kraut rock, aussi, évidemment. Du premier Soft Machine. De Gong, de Camembert électrique, surtout. On se retrouvait le samedi soir chaussée de Wavre, juste avant Auderghem. Chez ses parents, quand ils se cassaient dans leur maison de campagne. Ça, c’était quand on faisait les pauses de jour à la Sabena. Bernard avait un œil mort, une histoire de gosse et de carabine à plomb. Il était grand comme un indien, comme celui de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Des lunettes en plus. Le samedi soir, on écoutait des disques, on fumait des pétards, on buvait des bières. On passait la face A d’un vinyle qu’on adorait, chaque son tour. On écoutait, on fumait, on buvait. Et puis, ça déconnait heure après heure, face après face. On riait de plus en plus fort, on titubait légèrement, on remettait une autre face A. Et puis on changeait les règles du jeu, imperceptiblement. Maintenant, il s’agissait de jouer avec les nerfs de ceux qui étaient vautrés dans le canapé. A côté du canapé, un plat avec des oranges. Maintenant, on ne passait plus que de la musique dont on était certain qu’elle allait rendre les autres fous, hystériques. Des trucs crispants, chiants, plombants. Les mains se saisissaient d’une orange et visaient le bras de la platine. Chaque son tour. Bernard et son œil mort étaient les meilleurs à ce jeu-là.

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