A propos de livres annotés

Drôle de machin que de lire un bouquin prêté, emprunté, un bouquin qui n’est pas à soi, dont on n’identifiera pas la tranche dans la bibliothèque 3 ou 4 ans après l’avoir lu alors qu’on ne l’aurait de toute façon pas relu. Et si le bouquin est nul, on regardera le prêteur avec condescendance. Et si le bouquin est génial, on s’en voudra de ne pas l’avoir découvert avec ses propres sous.

Il y a Sexus de Henry Miller, lu chaque soir sur le balcon de Bamako alors que l’Ami-Voyageur comatait déjà sous la moustiquaire. Quand ce bouquin s’est retrouvé dans la valise jaune la veille du départ, on a essayé de se rappeler d’où il venait .On s’est dit qu’on ne se souvenait pas avoir lu de Henry Miller alors on l’a entassé et chloroformé dans la valise jaune. Au bout d’une cinquantaine de pages, on se rend compte que les parties surlignées au bic bleu ne concernent que les monologues axés sur le cul, la foufoune, la chatte, la fente. Alors on tente de retrouver le visage du prêteur tellement prévisible avec son bic érectile. Qui ? Défilé de témoins à presque 5000 kilomètres de Liège il y a presque trois ans. Qui ? Et on va voir plus loin, on ne s’arrête qu’aux passages surlignés dans la moiteur des aisselles. Qui ? Et puis TILT. Ça ne peut être que lui, JC, un mec, un cama d’avant, qui avait un pénis, une bite, un zob, une queue à la place du cerveau. Que lui pour empoigner un bic bleu et surligner chaque érection !

Il y a, ce vendredi 5 juillet 2013, L’ange Esmeralda De Don DeLillo prêté par Paulo parce qu’on ne pouvait pas tout acheter à Livre aux trésors ce jour-là. Hésitation devant la proposition du prêt. Et si on aimait ce bouquin vraiment beaucoup par dessus tout fort- fort, n’allait-on pas regretter de ne pas l’avoir acheté ? Ou volé ? Ou pris en otage contre une rançon impayable ? Ici, on est dans le sur-lignage au crayon 2 B, délicat voire hésitant. Ben oui, il n’y a que lui pour surligner ces passages-là. Ici, on est dans le cérébral. Pas le cérébral asexué, cérébral décervelé. LE cérébral, le vrai.

Là-bas, il y avait Nos dents se heurtaient, mordaient des langues, et le jus coulait de Maria comme une soupe chaude. Ici, il y a Les gens disent que l’art est immortel. Moi je dis qu’il y a dedans quelque chose de mortel. On y perçoit un reflet de la mort. Le seul vrai truc qui donne un cachet irrésistible au bouquin emprunté, ce sont, quand il y en a, les annotations au crayon ou au bic, discrètes ou bien appuyées, discrètes ou vindicatives.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s