Elle est grande, ma planète. Elle s’étend jusqu’au bout du monde. Je suis tout seul à la défendre contre les mutants invisibles !
Mais je n’ai pas peur! Moi et mon arc à flèches, nous n’en ferons qu’une bouchée.
-Chuttt… j’entends du bruit !
Le bruit, c’est ça leur problème. Ils ont beau être invisibles, je les entends se déplacer ou communiquer entre eux. Il leur arrive même de crier !
-Chuttt… il y en a un qui arrive… il est derrière la porte…il tourne la clenche.
-PIERRE ! Ce n’est plus une chambre… c’est une véritable porcherie !
Je ne t’ai pas demandé de me décrocher la lune… juste de ranger ta chambre.
Pierre sait que l’instant est grave. C’est toujours grave quand sa maman l’appelle Pierre Tout Court. D’habitude, elle le cajole avec plein de Petit Pierre.
Il prend son arme et va la ranger en dessous du lit. Enfin, si on peut appeler ça une ’arme !
Il avait demandé un vrai arc à flèches à son papa. Dans l’emballage cadeau, il y avait une boîte. Dans la boîte, il y avait un arc à flèches de rien du tout avec de toutes petites flèches dans un petit carquois.
Et c’est avec une arme de bébé qu’il va devoir accomplir sa nouvelle mission !
Le soir, toute la famille est réunie autour de la table.
A droite de Pierre, sa maman verse de l’eau dans les trois verres. Elle n’est plus fâchée !
A gauche de Pierre, il y a le papa. Lui, il l’appelle Pierrot. Mon Pierrot.
-Tu rêves, Mon Pierrot ?
-Papa… la lune, elle habite où ? Au dernier étage d’un building ? Sur une montagne ?
-Oh… Bien plus haut que les nuages. Sa maison, c’est le ciel dès que le soleil se couche.
Il ne faut pas que je ferme les yeux, pense très fort Pierre dès que la nuit s’est posée tout autour de la maison.
-Maintenant que le soleil dort, je devrais la voir.
Il glisse le bras en dessous du lit, saisit son arc à flèches et le carquois. Se lève et marche vers la fenêtre sur la pointe des pieds. Pas question de réveiller les parents ! Surtout sa maman. Après tout, c’est pour elle qu’il fait tout ça.
-Ca y est… elle est là !
Pierre ouvre la fenêtre et regarde longuement la lune. Puis, il saisit une flèche et tend l’arc.
Le lendemain matin, alors que le soleil du samedi a chassé les nuages du vendredi et repeint tout le ciel en bleu, une voix retentit :
-Pierrot !
C’est la voix du papa. Pierre saut du lit comme une fusée.
-Ca y est… Je l’ai eue, s’écrie-il.
Il se précipite vers la fenêtre et… quelle déception ! Dans le jardin, il y a son père qui enserre une vingtaine de flèches dans les bras.
-Je crois que c’est à toi. Range-moi tout ça avant la balade, dit-il en souriant.
-Oui, répond Pierre. Et il ajoute timidement :
-Papa, tu n’aurais pas trouvé quelque chose de spécial dans la pelouse ?
Ils se sont promenés toute la journée dans la forêt. En famille, comme dit la maman. Elle aime bien le mot famille. Pierre aussi.
Mais aujourd’hui, c’était un samedi qui se traînait, qui n’en finissait pas. Là haut, il y avait ce fichu soleil qui tardait à se mettre sous la couette.
Pierre n’avait qu’une envie : qu’il fasse tout noir tout de suite et que les adultes s’endorment très très vite.
Alors seulement, il partirait à la chasse. Elle et lui… face à face.
(Voix off: Quand est-ce qu’il fait noir ?/Quand est-ce qu’on rentre ?/ La lune, quand est-ce qu’elle se lève ?/Est-ce qu’il y a quelqu’un qui la prévient que le soleil est parti ?)
-Enfin… tu es là !
Pierre regarde longuement la lune. Il se souvient des documentaires à la télé où l’on voyait des animaux hypnotiser leur proie avant de les capturer.
Alors, il parle à la lune, lui dit qu’elle est la plus belle.
-Je t’ai attendue toute la journée. J’ai cru que tu ne viendrais jamais ! Mais tu es là et je vais t’attraper. Rassure-toi, tu n’auras pas mal. Tu sentiras comme des picotements.
Tout en continuant à l’amadouer, Pierre saisit une flèche dans le carquois.
Le dimanche matin, Pierre se lève avant tout le monde et dévale les escaliers quatre à quatre. Il se rue vers la cuisine, ouvre la porte et se retrouve dans le jardin. Tout penaud !
Dans la pelouse, il n’y a que des flèches. Plein de flèches.
Il court pieds nus dans l’herbe, fouille dans les parterres de fleurs. Il regarde dans les plus hautes branches du cerisier au cas où.
Pourtant, il a bien cru la toucher la nuit dernière, juste avant que ses paupières ne se fassent si lourdes !
Il est déçu, fâché. Il enguirlande le ciel bleu.
-C’est ça…cache-toi, vilaine ! Et ma maman, qu’est-ce que je vais lui dire si je ne remplis pas ma mission ?
Chaque lundi, c’est la maman qui conduit Pierre à l’école. Dans quelques mois, il ira dans la grande école avec un grand plumier et de grands cahiers dans un grand cartable. Elle le regarde.
-Petit Pierre, qu’est-ce que tu as ?
Il baille, baille.
Mais Pierre ne va pas quand même lui expliquer pourquoi il est si fatigué ! Il veut que ça reste une surprise, comme un cadeau tombé du ciel.
-Dis, maman… la lune, elle est plus grande qu’un bol de céréales ? Pourquoi il n’y en a qu’une ? Elle doit s’ennuyer là-haut, toute seule !
La maman répond que la lune est gigantesque et que toutes les étoiles sont ses copines.
-Je sais que tu es gigantesque… dis-moi pourquoi tu te fais toute petite ? Tu ne veux pas que je t’attrapes ? Et ma mission… et ma maman, tu y penses ? T’es qu’une sale égoïste !
Pierre tire les flèches à la vitesse de l’éclair. Une, deux, trois,… dix-huit, dix-neuf et vingt. Il n’y a plus de munitions dans le carquois et la lune brille toujours là-haut.
Pierre trépigne, brandit son poing en l’invectivant.
-Tu fais ta maligne, hein ! Et puis j’en ai marre que tu continues à parler à tes copines.
La lune reste impassible. Alors, il lui murmure :
-Tu sais, tu ne dois pas avoir peur. Maman et moi, on s’occupera de toi.
-Mon Pierrot, réveille-toi !
Pierre ouvre les yeux. Il y a le visage de papa qui pique contre son front.
-Regarde, j’ai quelque chose pour toi !
Une grande boîte dans un bel emballage l’attend au pied du lit. Pierre saute sur le sol et s’accroupit devant le cadeau. Il est interloqué.
-Mais… Maman a dit qu’elle était gigantesque. Comment as-tu pu la ranger là dedans ?
-De quoi, parles-tu Mon Pierrot ?
Pierre arrache les rubans rouge et or et le papier vert. Il hésite deux ou trois secondes puis ses doigts s’attaquent au carton de la boîte.
Apparaît alors un énorme arc à flèches. Un arc à flèches pour les grands ! Un vrai… avec de grandes flèches et un grand carquois.
Le mardi, c’est au tour du papa de préparer le souper. Il leur sert sa grande spécialité : les tomates farcies. La maman se moque gentiment de lui et lui dit qu’il serait temps qu’il étudie d’autres recettes culinaires.
Pierre ne touche pas à son assiette, son regard se perdant dans la nuit du dehors.
-Petit Pierre, tu es dans la lune ?
Pierre pose ses yeux tout ronds sur le visage de sa maman.
Pierre marche sur la pointe des pieds, traînant son gigantesque arc à flèches derrière lui.
-Chuttt… taisez-vous ! Chuchote-il aux créatures invisibles.
Il ne doit pas y avoir le moindre bruit ! Cette nuit, il va l’avoir par surprise. Arrivé devant la fenêtre, il tend son immense arc à flèches et pointe une immense flèche vers le ciel tout noir. Tout noir ! Pas de lune, pas la moindre étoile dans le ciel.
-Je connais ta cachette, à toi et tes copines. Je parie que vous êtes de l’autre côté du toit !
Il dévale les escaliers dans l’obscurité, trébuchant dans son immense arc à flèches, et se précipite dans le jardin. Il lève la tête. Fait le tour de la maison.
Il lève la tête, encore, encore.
Ses yeux écarquillés explorent le ciel : rien que du noir. Pas la moindre lueur astrale.
Alors, agenouillé dans l’herbe, il serre son immense carquois contre sa poitrine.
(Voix off: Je ne voulais pas te faire de mal !/C’était une surprise pour ma maman !/A cause de toi, elle va être triste !)
Les lumières de toute la maison s’allument de haut en bas. On entend des voix « Petit Pierre, où es-tu ? Mon Pierrot, pourquoi pleures-tu ? » qui descendent les escaliers et font irruption sur la pelouse.
La maman et le papa entourent Pierre. Les larmes inondent son visage, les mots s’étranglent dans sa gorge. Il leur raconte les dernières nuits où il a tenté de décrocher la lune pour sa maman… et la lune qui joue à cache-cache avec ses flèches.
-Maintenant, elle est partie pour toujours !
-Pierrot, elle est au-dessus des nuages remplis de pluie, dit la maman.
-C’est pourquoi tu ne la vois plus, ajoute la joue qui pique.
Au-dessus de leurs têtes, les nuages s’amoncellent, craquent, s’entrechoquent et se déchirent. Des milliers de flèches d’eau en jaillissent.
Illustrations: Graziella Vruna
Textes: Michel Vandam