la valise jaune et la famille Bolli (6/9)

16, 17, 18 novembre 2010
Zara nous invite à fêter l’Aïd dans la famille à Fogoti (Sahel). On quitte Bamako. Quelques heures de route sur une piste rouge-brique en tôle ondulée. Seul moyen de ne pas trop se faire secouer, perdre ses dents ou niquer ses vertèbres : à fond la caisse. Toujours Sergent Peppers qui déroule dans le lecteur de cassettes. Zara me demande de qui est cette musique. Je lui réponds que ce sont les Beatles. Il me demande d’où ils viennent. Je lui réponds : de Liège. Il me dit que c’est pas terrible du tout comme musique. JM ne dit rien. Rassurant de constater les limites de la culture occidentale. Bon, on a croisé de beaux grands panneaux Malboro dans le Sahara et des gosses avec les maillots de Chelsea.
Après quelques heures, une piste sablonneuse. Zara s’agite sur le siège arrière. On arrive. « Là-bas ! ». Là-bas, deux villages de huttes en torchis. Un de chaque côté de la route. Je lui demande si c’est celui de gauche. Il me dit que son village, c’est celui de droite. Que l’autre, c’est le village des esclaves. 

Zara, sa famille, ses frères, toute la famille Bolli. Zara et toute la tribu Bolli qui fête le retour de Bamako de l’enfant prodigue. Les femmes de la famille qui entourent Zara avec des « Youyou » hystériques dès notre arrivée. Zara qui leur distribue les billets parce qu’il est évident pour ceux de Fogoti que celui qui revient de Bamako est forcément plein aux as, qu’il s’en aille à Paris ou à Bamako. Zara et sa femme de Bamako, Zara et sa femme de Fogati. Zara et son regard triste, son côté « lapin Duracel » qui ne tient pas en place, qui s’ennuie vite, qui me parle de l’importance de savoir où sont ses racines, qui nous montre fièrement son troupeau. Zara, le cul entre deux chaises. La famille Bolli à Fogoti. Sidi, le frère de Zara, instit. Abba, le cousin, chef du village. Le forgeron et ses trois femmes.

Bouffer du mouton pendant trois jours. Se taper la tête du mouton comme petit deuj le matin, s’efforcer de ne pas regarder la tête du mouton droit dans les orbites, y aller à l’aveugle, en tatonnant. Plonger les doigts dans le plat. Le soir, c’est au tour des entrailles du dit mouton rien qu’avec la lune pleine pour guider les doigts, plonger la main droite dans le plat. Et puis, mastiquer cet espèce de chewing-gum fadasse. Beurk ! Et les bouches autour :
– Manger Jean-Marie, manger Michel !
Et les salamalecs. Bonjour, ça va ? Et la famille ? Et le voyage ? Et le dormir ? Et hops, quand c’est fini, à moi de refaire le même parcours. Bonjour, ça va ? Et une autre main qui se tend. Et les salutations, à pied, forcément, d’un village à l’autre. Et les salamalecs. Juste une manière de prendre le temps de s’arrêter, de se saluer. Pas question des « Ça va, ça va » lapidaires des visages pâles.
Et la préparation du thé, la journée à préparer le thé. Surtout évite le premier, m’a prévenu JM. Ça speede ! Pas de problème pour le troisième. Plus sucré, le thé de l’amour.
Comment parler des heures à regarder la lune à Fogoti, en écoutant le brouhaha des autres, allongé sur un tapis, sans verser dans les clichés New-Age post baba. A discuter, à rire, à palabrer sous la lune, sans électricité. Avec des cris de fête qui passent d’un village à l’autre en arrière-plan, avec juste l’éclairage des étoiles et de la lune pleine.
Et les retours constants à l’enfance congolaise en voyant ce couple et ses deux enfants sur une moto à Bamako. Souvenir de balade dans la brousse dans le Nord pas loin du Soudan, en moto avec le père, la sœur, moi, la mère qui tire le landau avec, dedans, Françoise, la petite dernière. Retrouver du vrai bleu, du vrai vert, du vrai jaune loin des couleurs « entre deux »  belgiquaines. Et la chaleur sèche. Et le bruit des insectes qui se réveillent une fois le soleil couché, Et les voix. Et la palabre !

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