J’aime la notion de quartier, ce territoire qu’on arpente exclusivement, au début, par nécessité. Boulangerie, pharmacie, boucherie, bistrot. Le bistrot, point d’ancrage. Il suffit de s’y rendre au minimum 3 ou 4 fois par semaine pendant 3 ou 4 mois pour que « Et pour monsieur, ce sera ? » soit supplanté par « Oh la la, y en a un qui n’est pas de bonne ! » Le quotidien comme tentative d’ancrage dans une recherche illusoire de racines dans des sables mouvants.
J’habite le quartier Saint-Gilles depuis 4 ou 5 ans. Un appartement, le cul entre deux chaises, qui s’étire entre le boulevard et la rue de l’abri de nuit. Entre ville stéréotypée et village fantasmé avec le boulevard comme ligne de démarcation.
Quand je suis arrivé à Liège dans les années 80, il n’y avait pas d’abri de nuit dans la petite rue étroite. Il y avait un dancing, un disquaire à quelques mètres des boules à facettes, Musiques, « chez » Francis Dozin. Au coin en face, une librairie de seconde main, « chez » Pierre Zinc.
Dans la petite rue étroite, on a troqué les boules à facettes contre des néons blafards. Il n’y a plus de disquaire et de libraire. Sur le même trottoir que l’abri de nuit s’élève le parking le plus huppé de la ville. On y voit Porsche Cayenne et Lexus hybride se faufiler entre la trentaine de sdf qui guettent l’ouverture de l’abri à 21 heures. Depuis deux ans, mon quartier patauge dans la précarité du monde d’avant, deux confinements et des chantiers chaotiques.
Dans les années 90, j’habite le quartier Sainte-Marguerite. Mes bistrots : Au toubib, Au bon coin, Le zéro faute. Désir d’être (peut-être, enfin?) de quelque part après une vingtaine (trentaine?) de déménagements dans 5 ou 6 ou 7 villes différentes. Photos de façades prises à l’arrache et envoyées à des auteurs de bande dessinée. En 1997, sortie de l’album Le quartier Sainte-Marguerite constitué des récits courts de : Loustal, Chauzy, Stassen, Bailly, Mahoux, Baru, Baudoin, Munoz, Igor Gabriel, Raives, Vandam, Warnauts. L’exploration narrative de Sainte-Marguerite se poursuit avec Kin’la Belle, récit long mis en scène par Warnauts et Raives qui mélange une enfance africaine fantasmée et un quotidien liégeois fantasmé.
Dans les années 2000, je travaille les week-ends à l’accueil d’un hôpital. Face à l’entrée, une septuagénaire complètement extravagante, bénévole de La croix rouge. Ici, le quartier devient un long couloir où se croisent des mondes entiers. Pendant plusieurs années, le samedi, Monique-la-bénévole devient Pop MO face à mon smartphone. Une septantaine de portraits seront exposés fin 1999 à L’enseigne du commissaire Maigret.
Avec Delphine Hermans, depuis une dizaine d’années, nos bandes dessinées, qu’il s’agisse de fiction ou d’autofiction ou d’autobiographie, s’enracinent dans la ville traversée par le fleuve (7 jours de canicule, Anesthésie générale, La somnambule).