Lui, un casque sur les oreilles et Elvis Perkins, sa voix douce et ses orchestrations brumeuses comme bande-son d’un paysage gris qui défile sous un ciel gris et se confond avec le bitume gris de la route qui longe les rails. Sur la banquette derrière la sienne, trois jeunes anglophones. Lui et son incapacité à traduire la langue des autres. Il se dit qu’il a du temps devant lui pour leur créer un pays avec des racines, des parents, et tout, et tout. Ils ne descendront ni à Huy, ni à Gembloux. On ne naît pas à Huy. On ne naît pas à Gembloux. Ils descendront à Namur ou à Bruxelles.
Elvis Perkins parle de cappuccino, d’une fille sous le ciel du Vietnam, avec quelques mots en français. Même les mots en français, il ne les comprend pas. Faudra qu’il aille sur Google tantôt, au retour. Cinq minutes plus tôt, il y eut la gare des Guillemins et l’invasion des tortues ninja, avec sacs à dos et valises à roulettes. La chanson s’est tue et les tortues ninja, sitôt assises, se sont plongées dans l’écran de leur tablette. Lui, aussi, il va voir ses parents, sans sac à dos ou valise à roulettes. Son père est dans une institution. Ses 90 ans viennent de découvrir Alzheimer. Lui, le fils au milieu de sœurs, il s’en doutait depuis un moment. Cela dit, comme il ne va pas le voir très souvent, il pouvait justifier les pertes de mémoire du père par la rareté de ses visites à lui, le fils. Les trois anglophones sont descendus à Huy. Drôle de destination pour un retour au pays !
Sa mère à lui viendra le chercher à la gare de Gembloux. Ils iront tous les deux au royaume des mots perdus, des images déformées. Son père ne se souvient plus de tout tout le temps. Lui, une fois là-bas, dans l’institution, il aimerait leur mettre son casque sur leurs oreilles à eux, ses parents. Leur faire écouter les mots d’Elvis Perkins qu’aucun des trois ne comprendraient. Communion dans l’incompréhension douce. A Gembloux, sitôt installé sur le siège passager, la mère va expirer-inspirer ses aigreurs, lui dire combien cet homme qui ne se souvient plus de tout tout le temps ne l’a pas rendue heureuse. Jamais. Lui, il va la couper et lui dire que leur histoire, à elle et à son père, ce n’est pas son histoire. Alors, elle va parler d’un voisin cancéreux, des morts en sursis du quartier. Alors, il va lui demander si elle n’a pas d’autres sujets de conversation. Alors, elle va râler. Expirer-inspirer. Râler.
Namur, là, maintenant, le train embarque d’autres tortues ninja. Lui, il descend à Gembloux. Il sait déjà qu’une fois arrivés dans l’institution, le père le regardera à peine, n’aura d’yeux que pour la mère. Elle s’assoira à côté de lui. Ils se prendront la main, main dans la main. Et puis, la mère se lèvera, traversera la pièce, s’éloignera du fils et du père. Et le père lui dira combien la mère le torture. Lui, le fils, il se dira qu’il faut absolument qu’il aille sur Google une fois rentré à Liège, chez lui.