Un peu avant midi, les enfants et leur mère squattent une table d’habitude déserte le lundi matin. Une princesse de cinq ou six ans avec couronne rose pleine de brillants rikiki, son frère, sa mère. Souvenir de tes mecs à toi qui se baladaient dehors en tortues ninja. Chuttt, on ne se moque pas ! Souvenir de tes mecs un peu gênés quand tu te baladais avec le kit complet froc + bonnet africains. Dans le bistrot près du fleuve, les enfants et leur mère mâchonne la pizza maison.
L’aprèm, il y aura le mec à la grosse voix, aux pantoufles, au froc qui pendouille méchamment à l’entrejambe comme s’il avait un paquet de cacas collé à l’intérieur des cuisses qui ne peuvent qu’être méga poilues. Le baggy ou le sarouel quand t’as 45 ans et plus, ça ne le fait plus depuis longtemps ! L’aprèm, il y aura trois ou quatre couples de touristes. Il y aura d’autres mères, d’autres enfants + une grand-mère partiellement édentée à smartphone + rouge à lèvres. Le mec à la grosse voix poilue, archétype du baba crade de plus de quarante-cinq balais, jouera au bingo à coups de 33. Il préviendra tout le monde : les pantoufles, c’est parce qu’il a la goutte. A 15h16, il aura déjà paumé 110 euros au bingo + 6 ou 7 bières. A 15h24, on saura tous que le mec au bingo s’appelle Pierre.
Toi, il y a deux semaines que tu aimerais écrire un texte sur les filles qui remontent leur froc. Les femmes-kangourou qui agrippent leurs mains à la ceinture et sautillent d’une hauteur de cinq ou six centimètres histoire de remonter leur jean. Quand les femmes-kangourou prennent leur élan pour atteindre une hauteur de maximum cinq ou six centimètres, elles semblent à la recherche de ce moment de grâce où la pesanteur n’existera plus, où le jean enserrera la taille pour toujours. Mini pogo avec descente brutale deux secondes, grand max, plus tard. Elles s’y reprendront à deux ou trois fois.
Le mec à la grosse voix qui colle à son entrejambe poilu est français. Ça, ça ne fait aucun doute. Il quittera le bingo, peu avant la pluie, vers 15h45, s’assoira à la table juste à côté où l’attend un jeune mec depuis le début de l’aprèm, à coups de 33, aussi. Pierre sortira une bd de son sachet en plastique, la donnera au jeune mec qui lui dira qu’il a déjà lu des bd des Bidochon. Pas celle-là !
Les femmes-kangourou à la recherche de lévitation, quand ton regard les croise furtivement, mordent la lèvre inférieure au moment où elles s’élancent. Toi, tu es chaque fois ému par cette recherche de l’éternelle apesanteur, cet instant où plus rien d’autre ne compte que ce putain de jean qui n’en finit pas de se casser.
