Ce truc qui fait qu’un petit mec bigleux au bord de l’adolescence abandonne le repas (3 sœurs + mère + père) pour s’engouffrer dans le salon, direction la radio familiale (gros poste Philips). Ce morceau à l’intro tordue ou au riff envoûtant, juste ce truc qui le happe, qui fait que, lorsque qu’il achètera le lp, il repérera le court passage obsédant (entre 12 et 18 secondes), laissant tomber plus ou moins précieusement le bras de la platine, bien que la passion n’ait pas vraiment d’accointance avec la préciosité.
Écouter des concerts rock sur Europe 1 parce qu’on parle bien ici de rock, pas de la musique classique du padre et de la madre, de Mozart, de Bach, de ce genre de brols. La tête sur l’oreiller, l’oreiller sur le transistor. Enregistrer la fin des sixties avec l’enregistreur à bandes paternel (un Telefunken), le micro tout contre le transistor, et la voix de la mère qui surgissait en plein milieu de la fin du morceau qu’on ne devait pas louper (« merde, ‘Man ! »).
L’attente du Discobus chaque samedi sur la Grand-Place, en bas de la Grand-Rue (Gembloux), la première chaîne stéréo (une Dual dans le premier kot à 15 ans, avec ampli et enceintes incorporées), l’apparition des cassettes au chrome qui allaient niquer les têtes de lecture du premier deck-cassette (un Akaï qui sera remplacé par un TEAC+dbx), les jobs étudiant (ouvrier agricole à Cortil Noirmont / l’usine à Jumet) qui payent les vinyles et une amoureuse qui faisait la tête devant ces dépenses inconsidérées, le premier salaire et une nouvelle platine (une Marantz) et une amoureuse (une autre) qui fera la tête devant cette dépense inconsidérée (mais l’autre – une Lenco L75 – allait encore bien, hein !), le job dans un magasin de hifi de Louvain-la-Neuve contre une paire d’enceintes monitor (des Spendor de-la-mort-qui-tue qui remplacèrent les Célestion 33), l’argent de la bouffe, du tram, des syllabus et des fringues (Bruxelles) quasi intégralement réinvesti en vinyles et en bd, la vente des vinyles et des bd quand on se retrouve sans boulot, le rachat de ces vinyles quand on retrouvera un boulot (pour la bd, plus tard, on a trouvé la solution : ouvrir une librairie), la vente de tous les vinyles à l’apparition du cd et puis de l’IPod, le graveur de cd, le téléchargement, le rachat progressif de vinyles et la revente progressive des cd il y a une dizaine d’années, l’achat d’une platine mythique et d’occaz (Thorens 160 avec bras SME), la découverte de Discogs, ce lp trouvé en Finlande d’un musicien japonais produit par David Byrne.
Il y a cette recherche effrénée du coup de foudre absolu, sans la moindre crainte de nostalgie puisque c’est chaque fois pour la vie et chaque fois comme si c’était la première fois. Il y a cette trouille languissante de ne plus être définitivement encore et encore chamboulé par un morceau (un riff, un truc de 12 à 18 secondes) qui déboule comme un tsunami. Il y a l’exigence de l’étonnement renouvelé, l’enthousiasme désespéré pour « quelque chose » qui n’existait pas encore la veille.
Song-Song 1 https://michelvandam.com/2018/01/08/a-propos-de-500-miles-song-song-1-5/
Song-Song 2 https://michelvandam.com/2018/01/11/a-propos-de-surfer-rosa-song-song-2-5/