La bande dessinée dans ce qu’elle a de plus insupportable (pour moi) 2/5

Dans les années 60, il y avait dans Spirou une rubrique intitulée Les merveilleuses histoires de l’oncle Paul. L’oncle Paul était ce vieux fumeur de pipe qui, chaque semaine, racontait un bout d’Histoire. Pas nécessairement la grande Histoire. Juste un bout d’histoire, l’évocation d’une date, un fait divers historique, en une dizaine de planches. C’était près d’une quarantaine d’années avant Wikipédia .
A la fin des années 80, Dupuis décida d’adapter les romans de Sulitzer en bande dessinée. Gros coup marketing. À cette époque, Sulitzer était le nabab du monde de l’édition, le Musso des eighties. Dupuis était persuadé que les ventes du romancier rejailliraient sur son chiffre d’affaires. Dans ces années-là, les responsables éditoriaux « d’avant » ont dû dégager pour laisser la place à des commerciaux pure souche, des lecteurs de Sulitzer. Un ancien responsable de Dreft et Bounty chez Dupuis, un ancien responsable de Quick GB chez Casterman. Je crois que c’est à ce moment-là que les éditeurs bd sont devenus des marchands de tapis. Le phénomène s’est accentué quand les éditeurs européens ont découvert les comics et les mangas. Jackpot ! Racheter des droits à des éditeurs américains, japonais, coréens s’avéraient nettement moins coûteux que de continuer une politique de création. Ils se contentaient de louer des films (+ traductions) et de payer des droits de replacement nettement moins coûteux que des droits d’auteur.

Aujourd’hui, depuis une dizaine d’années, les librairies BD sont envahies de traductions diverses : Comics et manga essentiellement. De nouvelles catégories ont vu le jour : les bibliographies, les autobiographies, les documentaires, les adaptations de romans, les bandes dessinées type Wikipédia. Les éditeurs ont troqué la bande dessinée de création contre une bande dessinée de vulgarisation, le dessin n’étant plus qu’un outil racoleur juste bon à simplifier les phrases. Aujourd’hui, plus besoin de lire Guy Debord ou Raoul Vaneigem pour tout savoir du situationnisme en une bonne heure. Aujourd’hui, plus besoin de plonger dans un essai sur la psychanalyse . Aujourd’hui, plus besoin de lire un livre retraçant l’épopée des Beatles.

Les livres techniques, style bricolage ou cuisine, représentent la plus grande part du chiffre d’affaires de l’édition et ce, depuis près de 20 ans. Les maisons d’édition de bande dessinée ont décidé qu’elles voulaient une partie du pactole, avec le dessin comme argument commercial primaire. N’est-on pas dans la civilisation de l’Image ? Faut dire qu’il est nettement plus agréable de se faire mettre un suppositoire que d’avaler un sirop répu.
Ce qui m’effraie dans ce phénomène, c’est la relégation aux oubliettes d’un art de création. Petit aparté. Sur 5 bandes annonces de nouveaux films au cinéma, au moins 3 d’entre elles revendiquent s’inspirer de faits réels. Se pose ainsi la question du Réel. Une discipline artistique n’est-elle pas là, aussi, pour rendre compte de son époque et fantasmer le réel ? Fin du petit aparté.
Ce qui m’étonne, c’est que ce phénomène éditorial « marchand de tapis » semble faire fi d’internet. Ça signifie que même Wikipédia devient trop compliqué. Ça signifie, que même un tutoriel n’est plus un outil de vulgarisation. Il faut l’effet suppositoire. Le dessin comme de la vaseline. Un cuberdon dans le cul, c’est tout bon.

Pour moi, il n’y a aucune espèce de différence entre l’acheteur de la bio bd de Gégé Depardieu et l’acheteur de l’histoire de la psychanalyse en bd. Leur comportement d’achat et leur fonctionnement sont identiques. Si ce n’est, peut-être, un certain snobisme dans le cas de la psychanalyse. Il faut bien avouer que les éditeurs ne lésinent pas quant aux choix divers proposés aux socios-cultureux qui aiment les suppositoires et les images dessinées. Ça va d’une collection La sagesse des mythes dirigée par Luc Ferry ( Antigone, Œdipe, et tout ça) en passant par l’adaptation du roman L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, l’adaptation de Bonjour tristesse, une série de portraits de femmes-féministes, les migrants, la vie des Ramones (la palme du mauvais goût revenant systématiquement aux bd narrant le rock) pour arriver à une collection intitulée Les Arènes BD aux titres évocateurs (Psychologix, Philocomix, et tout ça), sans oublier les 3 tomes de politique pas si fictionnelle que ça mettant en scène Marine Le Pen (La présidente).
Dans tous les cas, et du point de vue de l’éditeur, et du point de vue du lecteur, le dessin ne servira que d’accroche pour raconter des phrases simples. Il sera hors de question de vendre ces « produits » avec un dessin novateur ou une narration chamboulante. Ces bd sont là pour séduire une clientèle de bébocu (béotien/bobo/curieux) et ses enfants (important, ça… l’Enfant Roi déteste le sirop répu). Faut arrondir les angles ! Non aux suppositoires carrés !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

https://michelvandam.com/2016/08/28/la-bande-dessinee-cest-rigolo-comme-quand-on-etait-petit-15/

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