Une certaine génération (la mienne) 2/5

Quand on n’est pas du tout nostalgique, on patauge dès qu’il s’agit de plonger dans sa ligne du temps perso. On y met rarement les pieds à moins qu’un fait divers vienne y mettre ses gros sabots. Aujourd’hui, en bossant, incidemment, sur internet, on tombe sur un fait divers. Bon, faudrait déjà ramener une définition !
« Le fait divers est un événement de la vie, que l’on retranscrit dans les journaux. C’est pourquoi il est important de connaître la définition qu’on lui donne en journalisme ». Mais, voilà, on n’est pas plus journaliste que nostalgique. Un mec qui meurt, c’est un fait divers.
Aujourd’hui, dans boulot 2, on se perd 2 minutes sur facebook (on était aux toilettes). Bruno Ganz est mort. Alors, on essaye de replacer précisément ce fait divers dans sa ligne du temps perso. On va sur Wiki, on pense à Perec et ses listes de courses. Avec Bruno Ganz, on a un élément déclencheur ! On n’est toujours pas nostalgique, on essaye juste de démêler le faux du vrai. Et puis, on se dit que démêler le faux du vrai n’est pas très intéressant. On regarde la pelote de laine, on la laisse tomber sur le sol, on la regarde se dérouler comme si c’était la pelote de laine de quelqu’un d’autre.

Au milieu des années 70, après une année de kot à Charleroi précédée par des années d’adolescence pourries dans des villes glauques, des écoles sordides (Namur, Gembloux, Wavre), il se retrouve dans la Grande Ville, en colocation, rue de L’arbre bénit. A trois façades d’un nouveau petit cinéma d’Art et d’Essai (c’est comme ça qu’on appelait ce genre de cinéma). On ne parlait pas encore de cinéma d’Auteur ou de blockbuster.
Il y avait deux salles de projection. Une au rez-de-chaussée, l’autre au deuxième. Il n’était pas encore question de manger un hamburger végé avant ou après la séance ! De toute façon, au STYX, il y avait juste la place pour deux minuscules salles. Celle du dessus, minuscule, une trentaine de sièges, était consacrée, quotidiennement, à minuit, aux films d’horreurs série Z (au milieu des seventies, tous les films d’horreur étaient Z). Massacre à la tronçonneuse, par exemple. Russ Meyer avait également élu domicile dans la salle du dessus. Initiation aux gros seins qui bougent tout seuls. Cinéma d’art et d’essai !
Rosemary’s Baby, ça serait au Musée du Cinéma dans le cadre d’une rétrospective. Pas loin de la Gare Centrale, à 15 minutes du kot. Là, en bas, il y aurait les rétrospectives du cinéma italien et américain des sixties. Des thématiques autour du nouveau cinéma allemand.
Dehors, c’était la fin du Chili de Pinochet. Franco, lui, garottait à qui mieux mieux. Plus près de la Grande Ville, à quelques petites centaines de kilomètres, il y avait les Brigades Rouges. Action directe, ce serait pour la fin des 70. Il y avait surtout La bande à Baader. Et le cinéma allemand (dans les années 90, il y aurait le cinéma anglais, Trainspotting et Les virtuoses).
Le cinéma allemand, lui, se devait d’être désordonné avec Andreas Baader et Ulrike Meinhof. Werner Herzog, Rainer Fassbinder, Wim Wenders. Dans le désordre. L’énigme de Gaspar Hauser, Le mariage de Maria Braun, L’angoisse du gardien de but au moment du penalty, Lili Marleen, Aguirre, Les nains aussi ont commencé petits (ce titre !), Christiane FL’honneur perdu de Katharina Blum (le générique de fin avec les portraits de la bande à Baader en filigramme), L’ami américain. Dans le désordre. Avant la bande à Baader, dans les 3 villes glauques, il y eut Woody Guthrie, Bob Dylan, la guerre du Vietnam, Yann Palach, Pete Seeger, la guerre des 6 jours. Dans le désordre. Qui a osé prétendre que la fin des sixties étaient des années d’insouciance ?

Il y eut Le faussaire entre Bruxelles et Wavre, un peu moins de deux ans avant Liège (1980 : j’ai mis le nez chez Wiki). Volker Schlöndorff, réalisateur (je crois que je le préférais à Wenders); Hanna Schygulla et Bruno Ganz, acteurs. Beyrouth à feu et à sang, décor. Bien plus tard, il y aura Valse avec Bachir. Autre choc, même guerre. Encore plus tard, Incendies, autre choc, même guerre.
Hanna Schygulla croisée dans le Mariage de Maria Braun et puis dans Lili Marleen (Fassbinder, réalisateur… je crois que je le préférais à Wenders). Au même moment, il y eut aussi Dominique Sanda. La première comme jalon iconique du cinéma allemand, la seconde comme jalon iconique du cinéma italien (Bertolucci, De Sicca, Visconti, dans le désordre). Bande à Baader et Brigades rouges, même combat ! Hanna et Dominique au STYX et au Musée de cinéma. Les icônes us, elles, étaient plutôt masculines. De Niro, Redford, Newman, Brando. Les nouveautés au STYX, les rétrospectives au musée du cinéma. Duel, Délivrance, Abattoir 5. L’exorciste, ça c’est sûr, c’était au City 2. Souvenir de l’affiche géante de Elsa, la louve des SS au City 2.
Bruno Ganz, lui, c’était l’anti De Niro/Redford/Newman. Une gueule de Suisse, quoi ! (Suisse, je le sais depuis hier grâce à wiki) Un mec discret, presque une ombre. Une silhouette dans les décombres de Beyrouth. Après, il y eut Les ailes du désir. Choc en Noir et Blanc. Rien de nostalgique.
Il y a une dizaine d’années, il céda à un désir de nostalgie, acheta le dvd des Ailes du désir. Désappointement. Limite chiant. Pas moyen d’aller jusqu’au bout (Aujourd’hui, j’ai commandé le dvd du Faussaire chez l’ogre Amazon… comme une trouille de le revoir). Et Bruno Ganz, aussi fort que tous les Américains réunis. Bruno Ganz comme image subliminale des années de plomb. Souvenir du commissariat d’Ixelles avec les affiches « Morts ou vifs » reprenant les 4 de la bande à Baader. La guerre froide, Beyrouth, le Chili, Franco, le Vietnam, la Palestine, Prague. Les guérillas armées d’extrême gauche comme solution utopique d’un monde plus juste. Romantisme post adolescent ?
Qui a osé prétendre que les seventies étaient des années d’insouciance ?

Je ne ressens aucune tristesse à l’annonce de la mort de Bruno Ganz. Aucune nostalgie. La nostalgie, c’est un truc du passé qui aurait méchamment tendance à effacer la possibilité de futurs. Un truc romantique de Blanc qui a tendance à enjoliver le passé pour justifier sa paralysie d’aujourd’hui.
Avec ce fait divers, j’aimerais juste rendre compte de la place de chacun dans la construction bordélique de mon puzzle perso. Bruno Ganz comme déclencheur d’état de lieux.

Bruno Ganz fait partie de mon album Panini.

Une certaine génération (la mienne) 1/5

 

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