La première fois qu’il vit un nuage, il se réfugia en dessous du baobab le plus proche.
-Cela dit, mais je ne voudrais pas m’immiscer dans cette histoire, le baobab n’est pas l’arbre le plus feuillu que je connaisse question camouflage.
Donc, l’autre, mort de trouille, se retrouva enserrant de ses bras maigrichons le tronc de l’arbre en question.
-Encore une fois, ce récit ne me semble pas crédible. Un petit mec tout maigre et tout noir qui fait le tour du gros tronc d’un baobab avec ses bras tout court et tout maigrichon, tout ça parce qu’il a la trouille de se recevoir un nuage sur la gueule… c’est juste une vision de blanc qui ingurgite des saloperies boostées aux ogm et qui bande bio devant une installation d’art contemporain.
Donc, le petit mec tout noir était mort de trouille en dessous du baobab. La vue du nuage lui était insupportable! Ce qu’il voulait, lui, c’était du bleu, du bleu, et rien que du bleu au dessus de sa tête. Alors, il guetta le moindre courant d’air, le moindre coup de vent qui pousserait ce grand machin blanc de l’autre côté de la ligne d’horizon.
-Ici, il faut que j’intervienne à nouveau. La ligne d’horizon, encore un concept de blanc! Comme si, quand on se momifie au milieu du Sahel, on pouvait se projeter au delà de l’au delà! On se contente de survivre sur place, les pieds brûlant dans la terre sablonneuse rouge.
Donc, le tout noir se jura de ne plus jamais renouveler pareille expérience. Plus jamais de nuage au dessus de sa tête! Il s’inventa une religion et pria qu’on vint le délivrer d’un tel sortilège. Vite, vite! A peine avait-il commencé ses psalmodies au dieu soleil, s’inventant un diable forcément orageux, qu’un 4X4 kaki conduit par un blanc s’arrêta au pied du baobab. Le visage pâle lui proposa un deal. Une arme en échange de la ligne d’horizon. Marché conclu. Une mine patibulaire toute pâle en treillis militaire, ça aide quand il s’agit de négocier le doigt sur la détente.
Le tout noir attendit que le tout blanc disparaisse avec la ligne d’horizon, sortit de l’ombre zébrée du baobab, pointa sa kalachnikov vers le nuage.
Tac-Tac-Tac-Tac-Tac. Rafale de centaines de balles dans la gueule du gros nuage blanc. Silence. Tac-Tac-Tac-Tac-Tac. Silence, encore. SILENCE. Puis, des milliers de milliers de gouttes d’eau s’abattirent sur sa tête, et ce n’est pas le feuillage squelettique du baobab qui assura sa protection. Un éclair parcourut son lobe frontal tout noir. Illumination. Il se rappela du dieu des blancs et de Noé, un monsieur à la barbe blanche et au physique Hollywoodien. Lui aussi, il se construirait une embarcation amphibie.
On retrouva son corps flottant au large de l’île de Lampedusa