Un jeune mec longiligne peroxydé à la terrasse du bistrot pas très loin du fleuve. En face, une jeune meuf aux lèvres boudeuses. Lui, il ne fume pas encore. Il se lève, va chercher un jeu d’échecs au comptoir. Il choisit une table au milieu, installe le jeu, les blancs, les noirs. Les noirs de son côté. Il attend. Il lui envoie un sms. Elle termine sa clope, se lève, le rejoint avec ses lèvres qui râlent.
– Je t’ai dit que j’avais pas envie de jouer ! Il joue un pion. Elle le regarde, les lèvres furieuses. Elle empoigne un pion blanc d’un air dégouté, le relâche. Elle se lève, prend ses lèvres furieuses avec elle. Elle se casse.
Lui, il observe méticuleusement le vide en face de lui, l’échiquier statique aux pions paralysés d’effroi devant la fuite des lèvres pulpeuses et râleuses. Il fait le mort, ses yeux fixant une ligne d’horizon au delà des murs, au-delà du fleuve, au-delà de ses berges.
Le jeune mec longiligne peroxydé attend le retour des lèvres. Elles ont la rancune tenace. On n’oblige pas ces lèvres-là à jouer aux échecs quand elles n’en ont pas envie. Il attend encore. Il fait basculer son long dos et sa nuque sur la droite. Son visage livide s’adresse au mec à l’ordi.
– Vous avez internet ? Ma batterie est à plat… je peux envoyer un mp ?
Le jeune mec longiligne peroxydé se lève, va attendre la réponse sur la terrasse. Il se roule une clope et attend que le mec à l’ordi le prévienne.